
Voir avec les lunettes de demain : enseigner à l’ère de l’intelligence artificielle
Chaque fois que j’anime un atelier sur l’intelligence artificielle, il y a presque toujours quelqu’un qui me pose la question : « Mais toi, comment tu fais pour ne pas paniquer avec tout ce qui se passe ? Pour savoir vers où t’en aller ? »
Et c’est vrai qu’on pourrait facilement se sentir dépassé. L’IA évolue à une vitesse folle. On a à peine le temps de comprendre une nouveauté qu’une autre fait déjà la manchette. Pourtant, non, je ne panique pas. Ou du moins, je ne laisse pas la panique m’arrêter. Et récemment, j’ai mis des mots (et des images !) sur cette façon de voir les choses, grâce à un atelier auquel j’ai assisté lors du congrès ISTE 2025.
L’atelier s’intitulait Tomorrow Glasses: How to prepare students for an unknown AI future today. C’était animé par Matt Miller, un nom bien connu dans le monde de l’éducation numérique. Dès les premières minutes, il a capté notre attention en parlant de… Back to the Future. Oui, le film culte des années 80 avec Marty McFly et la DeLorean.
Voir flou, mais regarder devant quand même
Dans le film, quand Marty débarque dans le futur, on voit toutes sortes de prédictions sur ce que pourrait être le monde. Certaines sont tombées dans le mille — comme les appels vidéo — alors que d’autres ont complètement manqué la cible (les autovolantes, les fax dans chaque pièce…). Et pourtant, ce n’est pas ça le plus important.
Ce que Matt voulait qu’on comprenne, c’est que ce genre d’imagination — même imprécise, même farfelue — nous aide à réfléchir. À ouvrir la discussion. À accepter qu’on va se tromper. Et surtout, à rester curieux et critiques.
Je dis souvent que le monde numérique, surtout depuis l’arrivée de l’intelligence artificielle générative, c’est comme une montagne russe : il y a des montées d’adrénaline, des virages inattendus, des moments de vertige… et parfois, un bon coup de frein. On ne peut pas prédire exactement ce qui s’en vient, mais on peut apprendre à garder les yeux ouverts, même quand ça secoue un peu.
Enseigner avec les lunettes d’aujourd’hui ou celles de demain ?
Matt Miller a partagé plusieurs faits intéressants. Par exemple, selon Goldman Sachs, plusieurs métiers vont disparaître avec l’IA… mais beaucoup d’autres vont être créés. Et dans une discussion que j’ai eue récemment avec une amie sur certains métiers qui sont difficiles en ce moment, elle me disait : « Ça va finir par se replacer. » Je ne suis pas d’accord. Je pense plutôt que ça va se déplacer. Et qui dit déplacement dit adaptation. Agilité. Et parfois, remise en question.
Bill Gates a aussi affirmé que l’IA est « the biggest technological advance of his lifetime ». Il croit que son impact sera encore plus grand que ce qu’on imagine. L’IA transforme ce qu’on fait, ce qu’on comprend, et même ce qu’on considère comme un savoir. Ça ébranle nos repères. Et ça nous pousse à poser les bonnes questions : Pourquoi on enseigne ce qu’on enseigne ? Qu’est-ce qui est encore pertinent ? Qu’est-ce qui ne l’est plus ?
Matt nous a aussi posé une question qui m’a beaucoup fait réfléchir : « Est-ce que ce que vous avez appris à l’école vous a préparé pour la vie que vous avez aujourd’hui ? » Et honnêtement… pas tout à fait, certains choses oui, mais d’autres, pas tellement. À mon époque, Internet, c’était pour les cafés, pas pour les classes. On m’a appris à chercher dans des encyclopédies, pas à filtrer la désinformation sur les réseaux sociaux.
Alors, pour préparer nos jeunes à demain, il va falloir évaluer ce qu’on enseigne aujourd’hui :
- Il y a des choses qu’on doit préserver, parce qu’elles sont fondamentales, peu importe l’époque.
- Il y a des éléments qu’on doit ajuster, pour mieux refléter la réalité actuelle.
- Et il y a des contenus qu’on doit laisser tomber, même si ça peut paraître difficile.
Ce qu’on peut déjà faire en classe
Heureusement, Matt ne s’est pas contenté de nous faire réfléchir. Il nous a aussi proposé des pistes concrètes à mettre en place dès maintenant.
1. Développer l’esprit critique face aux productions de l’IA
Il faut travailler avec les élèves les générateurs d’images, pour aiguiser leur regard. Par exemple, il nous a montré une image de joueurs de football : quatre joueurs, deux équipes… mais tous portent le même chandail. Ce genre de bizarrerie, c’est ce qu’il appelle le AI weirdness. Il faut apprendre à repérer ce qui ne fait pas de sens — que ce soit dans les images, les textes ou les réponses générées.
Il a aussi mis en garde contre les détecteurs d’IA, qui donnent souvent de faux positifs, surtout pour les élèves dont, dans son cas, l’anglais, n’est pas la langue première. Plutôt que de surveiller, on devrait se demander pourquoi un élève triche. Qu’est-ce qui manque dans la tâche ? Dans sa motivation ?
2. Être clair avec nos attentes
L’utilisation de l’IA en classe, ce n’est pas tout ou rien. Il faut expliquer clairement aux élèves quand et pourquoi c’est permis. Et pouvoir justifier nos choix. Matt nous a rappelé qu’on a déjà fait ce virage avec d’autres outils, comme le correcteur de Word (qui est dans nos vies depuis 1995!!!!). On s’est adaptés. Et on peut encore le faire.
3. Parler des biais de l’IA
L’IA est formée à partir de données humaines, donc pleine de biais. Par exemple, si on demande une image d’un ingénieur, on obtient surtout des hommes. Pour Matt, c’est personnel : sa fille étudie pour être ingénieure. Il veut qu’elle se voie représentée. On doit aider les élèves à comprendre que l’IA reflète souvent le monde qu’on a eu, pas nécessairement celui qu’on veut.
Le rôle de l’enseignant n’est pas menacé. Il est transformé.
Matt Miller a terminé sur une note rassurante : il ne croit pas que le rôle de l’enseignant va disparaître. Et moi non plus. Par contre, il va falloir accepter qu’il évolue. Ce n’est pas une menace, c’est une invitation. Une occasion de revoir nos pratiques, de questionner nos repères et d’oser expérimenter.
On n’a pas besoin de tout comprendre aujourd’hui. Mais on doit continuer à poser des questions et à imaginer… avec nos lunettes de demain !
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